Manifeste de l'hypermonde (suite)
"J'étais tout seul, l'autre soir, au
Théâtre français", à vrai dire au bar en face du
théâtre... Attablé en quête de culture ou de rencontre, les
seuls bruits ambiants étaient ceux des machines à sous et les
consommateurs, tels des extraterrestres, s'entrechoquaient sans
se choquer, des passants...
Le matin, j'avais pris le "transport en commun": de
commun il n'y avait que la banalité des lieux... de transport,
il n'y avait rien pour se faire plaisir... le poids des mots.
J'avais rendez-vous à la Défense, au Cnit. Ce centre
d'importance où exposants et entreprises ont tout loisir de se
rencontrer, est le symbole d'un monde en mutation: là où
systèmes d'information rime -dit-on- avec communication, on ne
rencontre et ne discute que de moyens et de techniques
ultramodernes: à l'intérieur et autour, cartes magnétiques
d'accès, caméra, automatismes divers. Tout près, à
l'extérieur, dans le monde des hommes que sont les entreprises
implantées sur le site, même constat ou peu s'en faut, car il y
a toujours un temps de retard dans l'assimilation...
Rien ne retient l'avenir de l'homme si on ne retient l'avenir de
ce que communique l'homme.
A défaut d'être la ruine de l'âme, "science sans
conscience" en est à coup sûr sa léthargie. Les moyens de
communication et d'information mis à notre disposition se sont
insinués dans notre quotidien, et aucune réflexion ni éthique
n'est venue consolider cette occasion historique de renouveau de
notre société actuelle et en devenir.
Au delà du désir de retenir le présent, voire l'avenir, le
propre de l'homme, sa raison d'être, consiste à les
appréhender et, dans la mesure du possible, à les contrôler.
Si l'on veut bien considérer les progrès
accomplis dans ce domaine, force est de constater qu'un miracle a
eu lieu: d'ésotériques, les méthodes de communication sont
devenues accessibles et bientôt, sous réserve de concurrences
effectives, peu onéreuses eu égard aux services qu'elles
rendent ou sont en mesure de rendre. Elles seront désormais
notre quotidien. Très prochainement, elles feront exploser nos
limites d'imagination, de créativité.
Au delà de l'expression des mots et des données logiques, elles
touchent et intègrent l'image, le son, l'imagination. Au delà
de l'espace à deux ou trois dimensions, elles sont déjà dans
les dimensions n, là où personne ne peut nous rejoindre
si ce n'est l'authenticité des êtres.
Tout être humain, dès lors qu'il peut accéder à ces
techniques, voit se développer, au fur et à mesure de son
implication, toute une perspective de champs d'exploitation,
d'espaces d'innovation, de rêve personnel et de coopération
avec autrui.
Ce n'est plus une contrainte de moyens, mais un défi d'objectif
auquel nous sommes confrontés.
Il n'est nul besoin de prétendre décrire en détail tous les
bienfaits à en attendre: d'autres s'en chargeront, et avec
talent, parce que l'aspect économique et rentable de ces
disciplines est patent. L'hypermonde ne laissera bientôt plus
personne indifférent.
Mais le réveil ! piège de dégénérescence, l'esprit du
malin...
Le danger est, une fois de plus, à rechercher dans le
non-respect de l'éthique. Loin de servir à chacun, l'hypermonde
risque de ne favoriser que certains, les nantis. Mais ne nous y
trompons pas, les nantis ne sont pas nécessairement ceux qu'on
croit.
Dans l'esprit de notre société, encore tournée vers le
matériel, les nantis sont ceux qui peuvent acquérir des biens
pour en disposer au nom du principe sacré de la propriété.
L'argent était à ce jour la seule référence de mesure, il
était naturel de ne voir dans les nantis que les personnes
disposant de capitaux ou de revenus substantiels. L'usage que
l'on en fait reste à ce stade accessoire. Avec cette règle du
jeu, le nanti n'a aucun intérêt à faire fructifier son acquis.
Si, au niveau du fonctionnement de notre société, rien n'est
tenté pour rétablir un minimum de valeurs, un risque majeur se
dessine: celui de l'explosion de la société pluraliste qui,
tout en respectant l'individu dans ses choix de vie, donne
néanmoins à chacun la chance de progresser suivant sa
"conscience d'être". Sans cette composante,
l'esclavage est à nos portes, la liberté un vain mot.
A ce jour, le danger existe, il est même à notre porte, car le
plus facile des techniques d'information a déjà été
approprié par notre communauté, le plus ardu, - l'essentiel de
sa richesse - restant à définir et à orienter n'intéressant
à ce jour que peu de personnes ou d'organisations. Et pourtant,
que de pouvoirs et de manipulations en filigrane!
Le politique est ici au premier chef concerné, puisque de son
attitude résulteront les comportements des citoyens du futur.
Aux armes citoyens, le péril est identifié. Le courage est
entre nos mains.
L'hypermonde, à la fois le rêve et le cauchemar. Mais une
donnée: l'enjeu décisif de la société du XXIeme siècle est
bien la maîtrise de l'information
Dans cette dynamique, le danger essentiel est de voir capté ce
potentiel stratégique du futur, la puissance de l'information et
de sa communication, par un petit nombre, les nouveaux nantis.
Ceux-ci ne sont et ne seront pas ceux qui possèdent, mais ceux
qui imaginent et qui agissent. Dans ce cadre, contrairement à ce
que nous croyons, le savoir est distinct du pouvoir, en
particulier de celui de l'argent. Ce dernier n'est que l'image de
la valeur ajoutée établie et figée à l'instant.
C'est ici que l'hypermonde constitue la plus grande chance de
notre temps pour garantir l'espace de liberté des individus.
Neutre, sans a priori dogmatique ni moral, l'hypermonde saisit la
technique quand elle arrive, et la transforme en un phénomène
majeur de société avec la conscience que cette dernière
possède et acquiert du phénomène. C'est là où l'éthique
entre en ligne de compte.
Composé de techniciens de pointe et de dilettantes, au sens
propre, de l'expression et de la communication, l'hypermonde
constitue le centre de gravité de cet ensemble complexe et
sensible qui fera la communication de demain et la structure de
l'information ainsi véhiculée. Comme tel, il peut sans effort
démesuré orienter la dynamique de ce que seront les systèmes
d'information modernes. Neutre, il se situe néanmoins au pivot
de la bascule mais amplifie le moindre souffle.
Pour cerner cette dynamique, il importe de
prendre en compte deux critères fondamentaux: savoir personnel,
savoir partagé.
- Le savoir est d'ordre personnel. Il fait partie de l'être
individuel. A ce titre, il n'est ni cessible ni appropriable par
la force ou la ruse. Il est de la même essence que la liberté,
en dehors du critère économique. Il n'est pas du système, il
ne devient pas. Il est, même si son expression a besoin du temps
et des autres .
- Le savoir n'a de valeur que s'il est partagé. A défaut, il
n'est qu'espérance ou égocentrisme avorté car le propre de
l'homme est d'exister et seuls les autres nous révèlent notre
existence au quotidien.
Dans cette dialectique, il nous faut inventer un monde à deux
visages, qui valorise le savoir de l'être (à ce titre, ceci
doit être indépendant du pouvoir de l'argent, d'où le rôle
des politiques qui doivent préserver un certain équilibre:
l'éducation est la composante de base du savoir) et qui favorise
le partage (lequel est d'ordre économique, car il procède de
l'imagination et de la valeur ajoutée). La condition essentielle
de survie et de développement d'un tel espace de communication
est le respect de ce qu'il n'est pas: savoir réserver un espace
à ce que n'est pas l'hypermonde afin de mieux en démontrer les
avantages tant il est vrai que la preuve d'efficacité ne se
construit que par comparaison.
La seule issue de notre humanité, telle qu'on peut la percevoir
actuellement: c'est d'assumer un enjeu décisif que l'on fera à
la mesure de notre ambition
Le pari est pris, l'enjeu est circonscrit, les acteurs et moyens
définis. Il reste le courage, celui de regarder, au delà des
intérêts particuliers et des visions paresseuses de court
terme, ce vers quoi notre humanité se dirige. Les générations
nouvelles reprochent aux nôtres d'avoir été imprévoyantes
(sécurité sociale, retraites), pusillanimes (faiblesse dans la
généralisation des conflits locaux pour éviter les conflits
majeurs), inconscientes (laxisme en période faste sans prévoir
les temps difficiles, oubli du respect des équilibres
fondamentaux tels le tiers monde, l'écologie).
Certes, pour sauver l'essentiel, il faut avoir le courage de
reconnaître que, polarisés par nos frustrations de société
d'alors et notre soif hédonistique, nous sommes effectivement
responsables à certains égards de cette dérive dramatique, par
inconscience ou peur d'assumer la responsabilité individuelle au
prétexte du sacro-saint consensus.
Le problème que notre génération a laissé entier, et c'est
pire quoiqu'on en pense, c'est celui de la liberté de l'être.
Il n'y a de liberté que s'il y a total partage, véritable
communication. A ce titre, il n'est que justice de reconnaître
que nous avons acquis les moyens de communication moderne. A
nous, jeunes et plus âgés, d'en redécouvrir l'âme grâce à
un hypermonde maîtrisé.